COUP DE CŒUR DE ROLAND BERENGUIER
Coup de coeur ROLAND BERENGUIER

JUILLET / AOÛT 2024

Coup de cœur N° 145

Bonheur national brut

 

Le concept de Bonheur National Brut (BNB) est une mesure alternative au Produit Intérieur Brut (PIB) pour évaluer le développement d'un pays. Ce concept a été introduit par le Bhoutan en 1972  sous le règne du roi Jigme Singye Wangchuck. Contrairement au PIB, qui se concentre principalement sur les indicateurs économiques, le BNB prend en compte un large éventail de facteurs qui contribuent au bien-être et à la qualité de vie des citoyens.

 

Le BNB repose sur quatre piliers principaux :

1. Développement socio-économique durable et équitable : Assurer que la croissance économique profite à tous les segments de la société de manière équitable et soutenue.

2. Préservation et promotion des valeurs culturelles : Maintenir et enrichir la culture et les traditions locales.

3. Conservation de l'environnement : Protéger l'environnement et utiliser les ressources naturelles de manière durable.

4. Bonne gouvernance : Garantir des pratiques de gouvernance transparentes, efficaces et responsables.

Ces piliers sont ensuite déclinés en neuf domaines de mesure :

1. Bien-être psychologique : Satisfaction de vie, niveau de stress, activités spirituelles.

2. Santé : État de santé général, accès aux soins, habitudes de vie.

3. Éducation : Taux d'alphabétisation, qualité de l'éducation, compétences.

4. Utilisation du temps : Équilibre entre le travail, les loisirs et les obligations personnelles.

5. Diversité et résilience culturelles : Participation à des activités culturelles, préservation des traditions.

6. Bonne gouvernance : Transparence, justice, efficacité des services publics.

7. Vitalité communautaire : Relations sociales, soutien communautaire, sentiment d'appartenance.

8. Diversité écologique : Biodiversité, utilisation des terres, qualité de l'air et de l'eau.

9. Niveau de vie : Revenus, sécurité économique, distribution de la richesse.

En mettant l'accent sur ces aspects, le BNB cherche à offrir une vision plus holistique et inclusive du développement, en tenant compte non seulement de la croissance économique, mais aussi du bien-être général de la population et de la durabilité environnementale.

 

Un article paru sur Europe 1, édition économie en avril 2018, résume assez bien ce concept :

« « Un demi-siècle après son invention au Bhoutan, le Bonheur national brut (BNB), indicateur qui mesure le bien-être d’une population, a trouvé des applications concrètes.

Le concept du Bonheur national brut (BNB) était né, calqué sur le Produit intérieur brut (PIB), outil de mesure traditionnel de la santé économique d’un pays. Depuis, l’idée a fait son chemin, se transformant en véritable indicateur économique, repris sous diverses formes par l’ONU et l’OCDE entre autres. Aujourd’hui, les pays scandinaves font figure de modèles dans ces classements alors que la France cherche à s’emparer de la mesure du bonheur.

Pourquoi instaurer le Bonheur national brut ?

"Le bonheur national brut est plus important que le produit national brut", a déclaré en 1972 le roi du Bhoutan, âgé de tout juste 16 ans à l’époque, dans une interview au Financial Times. Une idée moins farfelue qu’il n’y paraît. Le jeune souverain adaptait en réalité à sa sauce une théorie qui commençait à faire son chemin à mesure que la mondialisation grandissait. A la veille du premier choc pétrolier, certains économistes avaient déjà exprimé des réserves sur le modèle économique de production illimitée et sa mise en avant par les indicateurs économiques traditionnels comme le PIB ou le PNB.


 


Jigme Singye Wangchuck ne plaisantait pas quand il a fait cette annonce médiatique. Très vite, le roi du Bhoutan s’est attelé à faire de son BNB une réalité. Plus facile à dire qu’à faire : il lui faudra attendre 1998 pour mettre à bien son projet d’indicateur du bonheur, présenté officiellement au reste du monde lors du Sommet du Millénaire Asie-Pacifique. L’objectif est simple : concilier les valeurs spirituelles du bouddhisme avec la possibilité d’une croissance durable.

Qu’est-ce que ça mesure ?

Au-delà de son appellation un peu "bisounours", le Bonheur national brut est un indicateur très sérieux. Il résulte d’un calcul qui repose sur quatre critères : "croissance et développement économique", "conservation et promotion de la culture", "sauvegarde de l’environnement et utilisation durable des ressources" et "bonne gouvernance responsable". Concrètement, il s’agit donc d’associer la croissance traditionnelle à des notions de durabilité et de collectivité, là où le PIB ne prend en compte que la production de valeur des entreprises d’un pays.

Cet indice est "une vision pionnière qui cible l’augmentation du bonheur et le bien-être de notre peuple", expliquait en 2016 le Premier ministre bhoutanais Tshering Tobgay. Mais il reconnaît lui-même que cet indicateur n’a pas vocation à être universel : "c’est plus simple à dire qu’à faire, surtout lorsque vous êtes l’une des plus petites économies au monde". En effet, il est plus aisé de subvenir aux besoins de la population du Bhoutan (785.000 habitants) que d’un grand pays comme la France avec ses 67 millions d’habitants.

Où le BNB est-il appliqué ?

Au Bhoutan évidemment : même si le roi visionnaire est mort en 2006, le concept du BNB lui a survécu et c’est aujourd’hui un des piliers de la politique du petit royaume d’Asie. Ainsi, la Commission du Bonheur national brut est chargée de sélectionner les orientations politiques et peut recaler les projets du gouvernement s’ils vont à l’encontre des critères du BNB. Résultat, alors que le Bhoutan ne dispose que du 162ème PIB au monde (à peine sept milliards de dollars), il est le seul pays à présenter un bilan carbone positif, à savoir qu’il absorbe plus de CO2 qu’il n’en émet. Pour autant, la pauvreté et l’endettement restent des problématiques majeures au Bhoutan.

En-dehors du Bhoutan, aucun pays ne mesure son BNB. Seules quelques villes ont tenté l’expérience, comme Sao Paulo ou Seattle. Toutefois, des tentatives sérieuses de développer un indicateur du bonheur ont vu le jour. Ainsi, l’OCDE a créé en 2011 le Bonheur intérieur brut, un indicateur agrégeant onze thématiques (logement, emploi, santé, sécurité, éducation, environnement…) et établi un classement des pays où il fait "bon-vivre". En 2016, c’est la Norvège qui avait été élu "pays du bonheur", devant l’Australie et le Danemark. La France, elle, n’était que 18ème (sur 38 pays classés). Dans le même esprit, des chercheurs sont missionnés par l’ONU chaque année pour établir un rapport annuel du bonheur sur des critères similaires. En 2023, c’est en Finlande qu’on est le plus heureux, devant la Norvège, l'Islande et la Suède (la France est 27ème). Les pays du nord de l'Europe tiennent le haut du pavé chaque année … » »

 

La démarche du Bhoutan a initié un mouvement mondial. Économistes, sociologues, politiques : tous se penchent sur le BIB et y voient une alternative, ou du moins un complément au PIB. Une manière d’envisager le développement sous un angle plus respectueux de l’homme et du vivant. Le Bonheur Intérieur Brut est un appel. Il nous invite à repenser notre vision du progrès, à chercher un équilibre, une performance réellement globale.

 

 

Roland Bérenguier

Juillet 2024

 




Réalisation Alain Escobar