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DU DÉLIRE AU LIRE RÉFLEXIONS SUR L'APPRENTISSAGE DE LA LECTURE.
Avec cet essai, Claude-Bernard BERKOWITZ porte un jugement sur l'enseignement de la lecture. Le verdict n'est pas toujours clément mais toujours pertinent. Instituteur pendant 15 ans - (profession qu'on disait à l'époque qu'elle était le plus beau métier du monde) -, puis psychologue en milieu scolaire, l'auteur parle en connaissance de cause et s'appuie sur des constats personnels parfaitement étayés.
L'ouvrage paru pour la première fois en 1980, " Année de la Lecture ", instituée par le Ministère de l'Éducation Nationale en est aujourd'hui à sa 3ème édition. Malgré toutes les réformes entreprises par les ministres concernés depuis cette date et malgré les améliorations constatées, l'apprentissage de la lecture demeure un problème. Au sein l'école de la République, ses failles et ses échecs gérèrent nombre de situations conflictuelles débouchant sur la violence à l'école et le mal-être des enfants mais aussi des enseignants malgré leurs compétences et leur bonne volonté.
Au fil des pages l'auteur décrypte toutes les facettes de cette "tragi-comédie" au travers de laquelle se joue l'avenir des enfants et par là même le devenir de la Nation.
Dans cette nouvelle édition, réclamée par de nombreux enseignants, psychologues et orthophonistes, il procède à une relecture de ses réflexions, à la lumière de l'état actuel de l'école. Les choses ont changé depuis 1980, mais certains problèmes demeurent d'une permanence étonnante.
Certes, l'auteur ne prend aucunement partie pour les différentes méthodes d'apprentissage, syllabique ou globale. Sensibilisé par une rencontre avec Célestin Freinet, l'auteur de cette derniére méthode tant décriée , chez qui nous avons eu la chance de vivre quelques jours à la Noël 1952, et d'assister à une classe avec des enfants de 2 ans et demi- trois ans , les propos de CBB ont, de ce fait, retenu notre attention:
« …il conviendrait, en ce qui concerne l'apprentissage de la lecture, de s'interroger sur ce qui est vraiment simple et vraiment complexe pour l'enfant. Autrement dit, la lettre est-elle plus simple que la syllabe, cette dernière plus simple que le mot, celui-ci plus simple que l'idée qu'elle exprime? Plus simple, en pédagogie, signifie, d'une part, plus facile à acquérir et, d'autre part, appartenant à une étape plus précoce d'acquisition dans un processus supposé chronologique du développement cognitif.
Est-il réellement à démontrer que l'identification de la partie d'un tout structuré appartient à une étape ultérieure du développement perceptif ? Il arrive à l'enfant très jeune (2 ans et demi - 3 ans) de décoder de façon spontanée des messages écrits par identification globale des mots, alors qu'il lui serait beaucoup plus difficile de saisir la forme des lettres de l'alphabet (non pas à cause de leur forme, mais de leur absence de signification). L'essentiel de la fonction lexique se trouve déjà dans cette lecture spontanée du petit enfant, qui ressemble déjà à la lecture de l'adulte.
Par quel détour de l'apprentissage, par quelle obsessionnalisation du déchiffrage-avant-tout, par quelle anxiété pédago-éducative parvient-on, dès le CP, à briser chez un grand nombre d'enfants, cet élan du lecteur spontané? Les partisans de la méthode dite "globale" de lecture ont bien failli comprendre l'enjeu. Méthode qui a fait l'objet d'un curieux rejet par l'école.
[…] Au demeurant, mon propos n'est pas la réhabilitation d'une méthode de lecture. Il n'y a certainement pas, à mon sens, de bonne ou de mauvaise méthode. On n'apprend pas à lire à un enfant: c'est l'enfant qui apprend à lire en utilisant le matériel qu'on lui présente. Que la méthode globale corresponde à une description plus proche de ce qui se passe dans l'esprit de l'élève qui apprend à lire ne lui confère pas un privilège quelconque comme méthode d'apprentissage.
[…] Le progrès de l'enfant est actif ou n'est pas du tout. C'est l'enfant lui-même qui découpe dans le matériel d'enseignement présenté ce qui correspond à ses structures intellectuelles du moment… Si l'on ne voulait présenter à sa jeune intelligence que les seuls éléments prétendument conformes à son stade de développement, on déposséderait cet enfant de toute possibilité de faire des erreurs. Que l'élève ne fasse jamais aucune erreur, voilà souvent le rêve de l'instituteur. Et pourtant, les théoriciens des lois de l'apprentissage s'accordent sur le fait que l'erreur est nécessaire, qu'il n'y a pas de progrès possible sans erreur. C'est particulièrement vrai pour l'apprentissage de la lecture.
Et l'auteur de poursuivre son propos en parlant du rôle de l'émotion dans la perception des formes dans l'acte de lire :
« Il n'y a pas de signification sans émotion». Et d'ajouter plus loin: « … ce qui ne vibre pas au niveau des "tripes" ne s'allume pas ensuite au niveau du cortex.» Ce qui n'est pas en contradiction avec ce qu'on peut découvrir en se référant au remarquable ouvrage de Daniel Goleman * …
Mais plus qu'une proposition de choix de méthode d'apprentissage de la lecture, l'auteur nous entraîne, dans sa réflexion, à visiter tous les paramètres qui conditionnent la réussite où l'échec de cet apprentissage. Il nous donne la clé pour en comprendre les mécanismes en les décryptant, grâce à son expérience vécue "sur le terrain".
Pour conclure, nous citerons des extraits de la préface rédigée par l'orthophoniste Françoise Perdriel à propos de cet ouvrage:
« … celui-ci a le mérite d'approcher au plus près la réalité grâce à un éclairage nouveau rempli de sensibilité. Réalité vivante d'une institution millénaire, l'école, et de l'entité sans qui elle n'aurait jamais vu le jour : l'enfance.
Préoccupation commune avec les orthophonistes, l'enfance un peu en marge, "rebelle", l'enfance "dys"… Cette enfance qui nous interpelle, grâce à ce grain de folie, qui, parfois, souvent, à la lumière d'un regard autre, se découvre graine de génie.
Ce livre est donc différent.
Par son approche, d'abord. La préoccupation première de l'auteur, c'est l'enfant, lecteur en devenir, plus que l'objet lecture lui-même. C'est une démarche de bon sens, ouverture, aussi, sur la compréhension de la dyslexie (même si ce concept fort à la mode actuellement, est particulièrement remis en question par l'auteur). La solution n'est pas dans l'approche didactique de l'apprentissage, malgré toutes les réformes, tous les modes différenciés d'accès à la lecture.
La solution se trouve en chaque enfant, et chacun porte en lui la sienne. Simplement, il faut savoir écouter, porter un regard confiant et attentif, accompagner l'enfant dans sa découverte du langage écrit, ne pas décevoir son enthousiasme. Le plaisir de lire est au bout du chemin.»[…]
« CBB analyse de façon très claire ce qui se passe dans la tête d'un enfant à notre insu, et que l'on perçoit de façon intuitive. Il décrit les mécanismes d'acquisition de la lecture en incluant toujours la dimension affectivo-cognitive. L'homme est essentiellement sensitif; lire c'est aller à la recherche d'une émotion…»
Mais c’est dans le dernier sous-chapitre que l’auteur, voulant expliquer la permanence étonnante des alarmes sur l’apprentissage de la lecture, essaie d’ouvrir son propos vers de nouveaux horizons en faisant une distinction entre la cause et le sens.
« En psychologie, dit-il, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets. Ainsi l’univers socio-affectif de l’enfant en difficulté de lecture n’agit pas comme une cause mais comme un sens. Quand l’univers lui est hostile ou étranger, l’enfant se refuse à le décoder. Et l’adulte, chargé, dans ce processus, d’éduquer et de rééduquer, ne serait-il pas semblable à l’enfant qui ne veut pas savoir ? Et CBB de conclure : « Ne sommes-nous pas poussés, par quelque pulsion inconsciente, à endiguer les interrogations fondamentales des enfants, lorsqu’ils questionnent l’écrit, de façon à endiguer, du même coup, les nôtres ?… »
Une "chute" qui pourrait interpeller nombre de ceux qui ont la lourde responsabilité de mettre en place cette réforme indispensable afin d'ouvrir des horizons nouveaux et prometteurs aux générations futures.
*Auteur de: L'intelligence émotionnelle
Accepter ses émotions pour développer une intelligence nouvelle.
(Editions J'AI LU)
Victor Bérenguier Volonne le 29 janvier 2013
BIOGRAPHIE ET BIBLIOGRAPHIE
Se reporter à la chronique de "Tournez d'un cran le Kaléidoscope", ouvrage du même auteur.
Légende photo:
- DU DELIRE AU LIRE
- REFLEXIONS SUR L'APPRENTISSAGE DE LA LECTURE
- Auteur: Claude-Bernard BERKOWITZ
- Editions: EDILIVRE
- Format: 135 x 205. Nombre de pages: 175. Prix: 17.00 €
(Photos repro V.B.)
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